Effet papillon
L' « effet papillon » est une expression qui résume une métaphore concernant le phénomène fondamental de sensibilité aux conditions initiales en théorie du chaos.
Un simple battement d'ailes d'un papillon peut-il déclencher une tornade à l'autre bout du monde?
En 1972, le météorologue Edward Lorenz fait une conférence à l'American Association for the Advancement of Science intitulée1 : « Predictability: Does the Flap of a Butterfly's Wings in Brazil Set off a Tornado in Texas?
« De crainte que le seul fait de demander, suivant le titre de cet article, "un battement d'aile de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ?", fasse douter de mon sérieux, sans même parler d'une réponse affirmative, je mettrai cette question en perspective en avançant les deux propositions suivantes :
Si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le déclenchement d'une tornade, alors, il en va ainsi également de tous les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activités d'innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre propre espèce.
Si le battement d'ailes d'un papillon peut déclencher une tornade, il peut aussi l'empêcher. ».
Le mathématicien Pierre Simon de Laplace exprimait le déterminisme en affirmant qu'un génie connaissant exactement la position et le mouvement de tous les objets, même infinitésimaux, de l'univers, avait accès à la connaissance du passé comme du futur de l'univers. Il notait que cette certitude nous était inaccessible et que seul un résultat probable pouvait être proposé3. Cette position n'est pas contredite par la théorie du chaos. Ce qu'affirme la théorie du chaos, c'est qu'une erreur très faible sur un paramètre peut avoir une influence importante sur la situation résultante à une date ultérieure.
Henri Poincaré travailla plus tard sur des phénomènes chaotiques, en particulier en réfléchissant à la stabilité du système solaire et au problème des trois corps4. C'est Poincaré qui, le premier, donna une définition claire au terme « chaos », en utilisant l'exemple célèbre des sphères : si on place une sphère réfléchissante et que l'on envoie dessus un faisceau lumineux, la direction que prend le faisceau réfléchi dépend largement de la position d'origine. Avec deux sphères, la variation d'un dixième de degré dans l'angle de la source peut amener une divergence de 180° entre les deux faisceaux. Mais ses travaux n’eurent pas d’applications immédiates, faute de calculateurs électroniques avec lesquels effectuer plusieurs millions ou milliards d’itérations.
Les deux mathématiciens, l'un et l'autre au fait de la sensibilité extrême sur le long terme de petites variations initiales, en tiraient des conclusions opposées. Pour l’un, toute prédiction à moyen terme était de ce fait inexorablement vouée à l’échec. Pour l’autre, au contraire, tout n’était que question de moyens de calculs et lorsqu’on en aurait de suffisamment puissants, il serait possible de savoir exactement sur quelle petite cause agir pour éviter le grand effet.
Edward Lorenz, lui, travaillait sur des problèmes similaires : des prévisions météorologiques grâce à des systèmes informatiques. D’après les lois déterministes - également dites prévisionnistes - créées par Galilée et développées par Isaac Newton selon lequel les conditions initiales permettraient de déterminer l’état futur d’un système grâce à la mise en place d’une nouvelle technique mathématique, le calcul différentiel alors en vigueur, toute action X aurait des conséquences Y prévisibles grâce à des formules mathématiques, pourvu que les fonctions en cause fussent continûment dérivables (il n’était pas question par exemple de prévoir le mouvement d’un chat par ce moyen). Lorenz a incorporé, en 1963, le fait que des variations infimes entre deux situations initiales pouvaient conduire à des situations finales sans rapport entre elles.
Il affirma ainsi qu’il n’était pas envisageable de prévoir correctement des modifications climatiques à très long terme (par exemple un an), parce qu’une incertitude de 1 sur 106 lors de la saisie des données de la situation initiale pouvait conduire à une prévision totalement erronée. Or :
d’une part, ces incertitudes sont inévitables,
et d’autre part, l’homme ne peut pas prendre en compte tous les éléments qui constituent son environnement, surtout lorsqu’il s’agit de variations infimes.
Dans l’exemple de Lorenz, un météorologue ne penserait pas forcément à prendre en compte les variations du courant d’air provoquées par le battement d’aile d’un papillon. Son idée de « non infaillibilité du système prévisionnel », théorisé sous la forme de « l’effet papillon », rappelle qu’il existe au moins une différence entre le déterminé et le déterminable.
Ainsi, un battement d’aile d’un papillon non pris en compte est peut-être celui qui entraînera de proche en proche une variation, évoluant comme l'exponentielle du temps écoulé, de conditions atmosphériques.
En réalité, la situation utilisée par la métaphore est sans doute mal choisie : des travaux récents ont montré que justement, l'effet papillon n'était pas applicable à la modélisation de l'atmosphère : un effet minime est "noyé" et oublié sans incidence pour la totalité5.
Résultats de la théorie du chaos [modifier]
Avec Lorenz, les limites pratiques du modèle de Newton sont mieux perçues, et un nouveau concept de « déterminisme relatif » émerge. Le terme de « théorie du chaos » réapparaît et c’est au début des années 1970 que le monde connaît un engouement pour ce paradigme. On découvre alors deux résultats étonnants :
Le chaos possède une sorte de signature (voir Nombres de Feigenbaum).
Il peut conduire lui-même à des phénomènes stables. On parle alors d’émergence. On ne pourra en connaître le détail de réalisation, mais les états finaux peuvent être connus sans qu’on sache par quel chemin on y arrivera : c’est une généralisation de la notion d’attracteur déjà posée par Poincaré.
L'Institut de Santa Fe sera créé en 1984 pour tenter d’étudier les conditions par lesquelles, parfois, c’est l’ordre qui émerge du chaos - ce qui constitue très exactement le contraire d’un effet papillon.
Comment « voir » l’effet papillon ?
Une bonne manière de « voir » l’effet papillon est de considérer une fractale. En effet, par son absence de frontières nettes quelle que soit l'échelle considérée, une fractale représente assez bien l'instabilité de comportement d’un système chaotique. Un moyen d'obtenir une fractale est d'ailleurs la vitesse de convergence d’une suite mathématique en fonction d’un certain paramètre. On visualise clairement le fait qu’une infime variation de ce paramètre modifie radicalement le comportement de la suite, ce qui produit donc des images infiniment irrégulières (cela revient à dire que l'on peut zoomer dessus autant qu’on veut, on observera toujours de nouvelles formes et des lignes non lisses). La première fractale représentée ici montre la vitesse d'évolution d’une suite en fonction de sa valeur initiale. La deuxième montre l’instabilité d’une méthode numérique de recherche de solutions d’équations. En effet, elle permet de visualiser vers quelle solution d'une équation converge une suite selon son point de départ.
Dans le domaine de la prévision météo, la modélisation du climat correspond à un système dynamique de nature chaotique. La connaissance des conditions initiales, ainsi que leur représentation dans les simulations qu'utilisent les prévisionnistes, (modèles numériques), est forcément incomplète, d'où la « Limite du Chaos » qu'implique l'article de Lorenz. Elle se traduit en pratique par une « limite de prévisibilité », qui est d'un peu plus de 10 jours (on dit que l'atmosphère « oublie tout en 2 semaines »). Au cours des 2 dernières décennies, les progrès conjoints des observations, (par satellite ou in situ), et de la capacité de calcul ont permis de se rapprocher de cette limite, selon un rythme de « 1 jour de plus tous les 5 ans ».
On a supposé, à cause de son aspect chaotique, qu'une modification infime des conditions initiales par exemple le battement de l'aile d'un papillon pouvait modifier radicalement l'avenir climatique voire créer un ouragan. Si le modèle chaotique s'applique bien et que la limite de prévisibilité existe vraiment, en revanche, les modèles numériques montrent qu'il n'est pas scientifique de prétendre qu'une petite modification peut créer un ouragan, car l'énergie dégagée par le papillon sera dissipée avant d'avoir pu produire un effet de grande amplitude.
La même limitation, résultant de la connaissance incomplète des conditions initiales, vaut aussi pour la prévision océanique, avec une limite qui est de quelques semaines, au lieu de quelques jours. (Voir par exemple Les modèles numériques)
Le phénomène perturbateur minime qui peut déclencher une avalanche, connu en montagne depuis quelques siècles, relève du même problème.
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